Des hommes crient, des hommes passent aux caravanes de la nuit.
Loin de mon pays solitaire,
main tendue au recul du temps,
je suis revenu les yeux étrangement brouillés de mes torpeurs.
Des hommes crient, des hommes trépassent dans des cabarets désertés.
Loin de ma maison éternelle,
lèvre tendue du temps,
je suis revenu étrangement las de mon voyages.
Des hommes écrivent, mais les mots passent
translucides de mains en main.
Étoilé et lugubre,
Je suis revenu de ma nuit la voix rauque.
Et loin de comprendre les cimes,
loin de tendre vers le soleil
loin de toute bruyère,
je bois à petites gorgées ce qui reste dans mon verre
avant de plonger les mains dans la terre vierge des souvenirs.
*
Les yeux lourds, comme s'ils avaient à porter le ciel,
les yeux lourds des matins de décembre,
embués par la cigarette
et le whisky,
les yeux lourds de la solitude
dans un lit d'amour trépassés,
les yeux à hurler les angoisses
dans leur matin délimité.
Les yeux lourds et bornés,
l'horizon plat et minuscule
comme une bascule
qui va basculer,
la tour Eiffel et le Louvre
roses comme des bonbons ou des éléphants,
roses,
le ciel
rouge comme une liberté battue,
prostituée.
Les yeux lourds de la découverte
quand ils n'ont rien pu découvrir.
Le pas sur le pavé qui roule,
le regard vers le pont,
le rond dans l'eau,
cible ancrée aux yeux des hommes –
aux yeuxlourds, comme s'ils avaient à porter le ciel.
Octobre 1970
aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa
Nous aurons eu les matins de décembre
gelés
translucides
Ils ne pourront pas nous prendre nos matins
Ta voix pose une cigarette
contre ma bouche – je te fume –
le soleil brûle la neige
le temps tunique attend
Ils auront beau dire
ils auront beau faire
ils ne pourront pas voler nos matins
Nos matins
pieds nus dans la neige
seuls dans le sortilège et froid et de feu
dans le vertige intégral
Nos matins
parmi le chiffre de nos baisers
nos matins
imprenables
comme une citadelle
dont on a perdu la clef
aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa
Monter jusqu’à l’espérance des cimes étroites
jusqu’à l’inceste muet de la mer et du ciel
là où s’élaborent les deux sexes
Les hommes grognent en bas
maigre troupeau
clairsemé
sur cette terre que je n’aime même pas
Ici je n’aime que la vie
végétale qui nous habite
depuis des millénaires
jusqu’à la mort de l’étoile
ancrée au cœur de ton corsage
La cheminée a pleuré son ultime braise
et par la fenêtre rougie je regarde
une dernière fois
ton sourire dans le ciel qui s’estompe
une dernière fois je caresse la vitre qui n’est plus qu’un reflet
et seul
sur le grand lit vide
je marque le contour de mon corps
d’un coup lourd
comme un couteau
J’avais soif
j’avais tellement soif
et le chemin du puits s’ouvre
J’avais mal
j’avais tellement mal – j’étais tellement mort
et le soleil s’allume
Jusqu’au croisement des pôles
jusqu’à la lèvre de tes lèvres
L’araignée s’est figée en dune et se charge de fleurs
la lumière dessine une vieille chanson
sur les pierres bleues, sur les pierres brunes
une vieille chanson
*
* *
Dans les livres éteints
j’avais cru ton visage
je me souviens de la tempête sur les parchemins
L’alchimiste est vieux et têtu
il n’a pas su trouver la Pierre
mais la Pierre, c’est ton corps – pour vivre au soleil
J’avais marché pendant des siècles avant de te rencontrer
j’avais scié toutes les forêts du Rhin
pour écrire le Livre
Quand je t’ai vue
le Livre s’est converti en mousse
J’ai ri
Les montagnes ont tremblé
comme si ton pas frêle les agressait
dernier sursaut de la neige avant le volcan
alors
des cimes jusqu’à la mer
du levant au couchant
de tes lèvres à mes lèvres
ce fut
LE PRINTEMPS