ÉRIC   LYSØE

Le cadenas

Suivi du

Roy loqueteux

Je suis revenu


Des hommes crient, des hommes passent aux caravanes de la nuit.
Loin de mon pays solitaire,
main tendue au recul du temps,
je suis revenu les yeux étrangement brouillés de mes torpeurs.


Des hommes crient, des hommes trépassent dans des cabarets désertés.
Loin de ma maison éternelle,
lèvre tendue du temps,
je suis revenu étrangement las de mon voyages.


Des hommes écrivent, mais les mots passent
translucides de mains en main.
Étoilé et lugubre,
Je suis revenu de ma nuit la voix rauque.


Et loin de comprendre les cimes,
loin de tendre vers le soleil
loin de toute bruyère,
je bois à petites gorgées ce qui reste dans mon verre
avant de plonger les mains dans la terre vierge des souvenirs.

                                  *

Les yeux lourds, comme s'ils avaient à porter le ciel,
les yeux lourds des matins de décembre,
embués par la cigarette
et le whisky,
les yeux lourds de la solitude
dans un lit d'amour trépassés,
les yeux à hurler les angoisses
dans leur matin délimité.

Les yeux lourds et bornés,
l'horizon plat et minuscule
comme une bascule
qui va basculer,
la tour Eiffel et le Louvre
roses comme des bonbons ou des éléphants,
roses,
le ciel
rouge comme une liberté battue,
prostituée.

Les yeux lourds de la découverte
quand ils n'ont rien pu découvrir.

Le pas sur le pavé qui roule,
le regard vers le pont,
le rond dans l'eau,
cible ancrée aux yeux des hommes –
aux yeuxlourds, comme s'ils avaient à porter le ciel.

Octobre 1970


aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa


Nous aurons eu les matins de décembre

gelés

translucides


Ils ne pourront pas nous prendre nos matins

Ta voix pose une cigarette

contre ma bouche – je te fume –

le soleil brûle la neige

le temps tunique attend


Ils auront beau dire

ils auront beau faire

ils ne pourront pas voler nos matins


Nos matins

pieds nus dans la neige

seuls dans le sortilège et froid et de feu

dans le vertige intégral


Nos matins

parmi le chiffre de nos baisers

nos matins

imprenables

comme une citadelle

dont on a perdu la clef


aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa


Monter jusqu’à l’espérance des cimes étroites

jusqu’à l’inceste muet de la mer et du ciel

là où s’élaborent les deux sexes



Les hommes grognent en bas

maigre troupeau

clairsemé

sur cette terre que je n’aime même pas

Ici je n’aime que la vie

végétale qui nous habite

depuis des millénaires

jusqu’à la mort de l’étoile

ancrée au cœur de ton corsage


La cheminée a pleuré son ultime braise

et par la fenêtre rougie je regarde

une dernière fois

ton sourire dans le ciel qui s’estompe

une dernière fois je caresse la vitre qui n’est plus qu’un reflet

et seul

sur le grand lit vide

je marque le contour de mon corps

d’un coup lourd

comme un couteau


Hope for happiness



J’avais soif

j’avais tellement soif

et le chemin du puits s’ouvre


J’avais mal

j’avais tellement mal – j’étais tellement mort

et le soleil s’allume


Jusqu’au croisement des pôles

jusqu’à la lèvre de tes lèvres


L’araignée s’est figée en dune et se charge de fleurs

la lumière dessine une vieille chanson

sur les pierres bleues, sur les pierres brunes

 une vieille chanson


   *

*    *


Dans les livres éteints

j’avais cru ton visage

je me souviens de la tempête sur les parchemins


L’alchimiste est vieux et têtu

il n’a pas su trouver la Pierre

mais la Pierre, c’est ton corps – pour vivre au soleil


J’avais marché pendant des siècles avant de te rencontrer

j’avais scié toutes les forêts du Rhin

pour écrire le Livre


Quand je t’ai vue

le Livre s’est converti en mousse

J’ai ri

Les montagnes ont tremblé

comme si ton pas frêle les agressait

dernier sursaut de la neige avant le volcan


alors

des cimes jusqu’à la mer

du levant au couchant

de tes lèvres à mes lèvres

ce fut

LE PRINTEMPS