Poèmes galants

I

Le livre des amazones


Pour Sky, amazone indomptable


1


J’ai vu sur ton sein d’ambre un phénix tatoué,

Il brûlait sur ta peau comme oiseau d’orage.

Je garde dans les yeux le flamboyant naufrage

De cette forme immense, là, sur ton corps, échouée.


Pareil à ce vainqueur que tu pris en otage.

Implacable amazone, en m’ayant capturé,

Ne suis-je pour tes yeux rien qu’une triste image

Qui rêve à cette gorge où mon souffle s’est noué.


Tu parcours du regard un horizon sans borne.

Le monde t’appartient, la dernière licorne

Te conduira si loin qu’un jour, le petit scribe


Qui chante ton histoire y cherchera des bribes

De ce qu’un autre, ailleurs, nomme l’éternité.

Et ce sera pour dire : on l’appelle Beauté.


Plutôt mourir, bien sûr, que de plier l’échine :

Te servir à genoux ce serait me damner.

Plutôt partir au loin que me laisser noyer

Dans le regard si clair qui le soir t’illumine.


J’aurais aimé pourtant, oh! ma tendre féline!

Poser ma bouche en feu, par un beau soir d’été

Ne fût-ce qu’un instant, là, sur cette poitrine,

Afin d’y savourer un goût de liberté.


2

(Sur son gros orteil)


Il aime à jouer son gros bonhomme

Mais en fait il est tout petit.

Il se prend pour le majordome,

Et, à sa suite, il introduit


Un à un tous les domestiques :

La chambrière et l’échanson

Le cocher au regard lubrique

La nourrice et le marmiton.


Derrière lui j’en compte neuf

Qui te font avancer, si preste,

À vive allure et d’un pas neuf,

Telle la Chasseuse céleste


Qui répond au nom d’Artemis,

Mais qui n’eut point en héritage

Autant de charme que vous Miss,

Ni même un semblable courage.


Il aime à jouer son gros bonhomme,

Mais en fait il est tout petit.

S’il parle d'une voix rogomme

C’est pour cacher qu’il est gentil.


Et quand je viens poser ma lèvre

Sur l’ongle que nul n’a verni,

C’est comme s’il avait la fièvre

Et d’un baiser je le bénis.


3

(Ligoté, à ses pieds)


D’où j’étais, allongé dans l’herbe,

Les bras fermement ligotés,

La vue était plus que superbe,

Du centre autant que des côtés.


D’abord c’étaient deux hautes gerbes

D’une chair ferme à satiété 

Tant de désirs s’y exacerbent:

Que j’eusse aimé les moissonner.


Au point où elles se vont joindre

J’ai vu, sous le pagne indiscret,

Ce glaïeul qu’elle tient  secret


Et dont la beauté n’est pas moindre

Que l'aster qu’on voit à sa bouche,

Mais qu’elle interdit que l’on touche.


Si la loi perpendiculaire

Et ses quatre-vingt-dix degrés

Cet affreux carcan angulaire

M’avait permis de demeurer


Près de l’éclosion gémellaire

Et ses pétales mordorés,

Rien n’aurait pu vraiment me plaire

Autant que d’y venir poser,


Là, sur ces tendres sanctuaires,

Une manière de baiser:

Que ce soit sur le bel estuaire


Où sont venues se rencontrer

Les gerbes douces et légères

Ou que ce soit, belle panthère, 


À cet endroit de ton visage

Où ton sourire feint d’être sage.


Sur le sein de Cosi


C’est une courbe si légère :

Ma plume ne ferait pas mieux.

Mais elle est pleine, elle est entière,

Comme un bel orbe dans les cieux.


Lorsqu’une folie passagère

Me fait poser d’un air joyeux

Une ou deux lèvres aventurières

Sur cet hémisphère soyeux,


Je sens comme au fond de mon être

Un doux frisson me traverser.

Puis ton parfum me prend en traître,


Et me voilà bouleversé.

Car Cosi, ce charmant dessin,

C’est la courbure de ton sein.


Elle est l’âme et lit


Elle porte un doux nom où j'entends comme une âme

S’évanouir dans l’air pur, un vieux prénom de femme.

Et quand ses cheveux d'or s'envolent dans le vent,

On dirait que cette âme sourit en rêvant.


À la fin de son nom, c’est comme ouvrir un livre

Dont les secrets profonds lentement se délivrent.

Et quand elle le lit, ce livre des secrets,

Elle devient mystère et s'écrit à la craie.


Il nous suffit alors qu'un peu de vent y passe,

Pour que l'âme qui lit tout doucement s'efface.


Elle


Ô vous qui n’aimez pas mes vers

Et qui préférez les mensonges

Belle amazone aux grands yeux pairs !

Souffrez que je vous dise un songe.


Je vous ai vue au matin clair,

Enfant, qui parcouriez la lande

Pour aller contempler la mer.

Et plissant vos yeux en amande


Vous essayiez de voir au loin

Si quelque pays de légende

Par hasard ne se dressait point

Derrière l’horizon bleu lavande.


Vous aviez dix ans, un peu moins

Mais déjà vous rêviez du monde

Si jeune, douce et néanmoins

D’une humeur déjà vagabonde.


Méduse


Oh mon enfant barbare ! quand tu poses tes griffes

Sur mon sexe dressé tel un mât près du port,

Il me revient les vers de quelque œuvre apocryphe

Où je vois des baisers parcourir tout ton corps...


Puis tes ongles s'enfoncent en mes chairs profondes

Pendant que je pénètre en la tendre oasis

Où m'accueille une douce et si frémissante onde

Quand palpite en secret ton tendre myosotis.


Je boirai la liqueur qui sourd entre tes cuisses

Entre tes deux seins ronds, je me ferai un nid

Et avant que l’aurore exsangue l'affadisse

J’irai prendre à ta lèvre un parfum d’infini…


La Magnifique


Toi qu’on prétend la Magnifique

Quand, telle Diane en son bosquet,

Tu débusques les grâces orphiques

D’un jeune tigre aux doux quinquets ;


Et quand, tel Mars en son armure,

Tu renvoies nos mâles guerriers

Dont les cris jamais ne t’émurent

Au plus profond des lazarets ;


À mes yeux tu es Magnifique,

Mais pour de tout autres raisons :

C’est pour ta grâce séraphique,


C’est pour tes rires à foison,

Et pour l’avouer sur d’autres tons,

Surtout pour tes exquis tétons.


*


Ami, qui tremble encor d’avoir pu la croiser,

N’ayant lu sur ses traits qu’un appétit vorace,

Une soif de pouvoir qui veut tout écraser,

Souffre qu’ici les mots plus jamais ne se glacent

À l’instant d’évoquer celle qui reste unique

Et s’en va en tout lieu sans nulle autre tunique

Que ce peu qui revêt du plus léger duvet

Cette peau de satin qu’elle aime à préserver.


On lui dit le cœur sec et la haine vivace,

Elle aurait fait trembler plus d’un arquebusier.

On ajoute parfois que si elle t’enlace,

C’est pour voler ton souffle en un dernier baiser.

Est-elle cependant à ce point tyrannique,

Animée seulement d’une ardeur mécanique ?

N’a-t-elle en cette vie d’autre but qu’achever

Tous ceux qui, forts ou non, cherchent à la braver?



N’aimant que les cités qu’elle a pu embraser

Elle sème c’est vrai, partout où elle passe,

Un effroi si complet qu’on ne peut l’apaiser :

C’est une peur sans fin qui dresse les tignasses.

Et pourtant, moi, je sais que rien de maléfique

Ne saurait résider dans l’âme séraphique

Qu’elle cache à tous ceux qui, ne sachant rêver,

À l’eau de ses yeux clairs ne peuvent s’abreuver.


Regarde-la dormir et lorsqu’une ombre passe

Sur son front innocent, regarde se creuser

Cette ride qui fait comme une infime trace,

Souvenir d’un ressort qui se serait brisé.

Alors à deux genoux devant cet être unique

Prends-la et berce-la, laisse-la se lover

Contre ton sein de mâle à jamais réservé

À celle qui, toujours, sera la Magnifique.


Sur ses seins


Je n’aurais jamais cru que sous la peau de bête

Qui les cache aux regards des mâles indiscrets

Tu aies pu réserver un soir, pour un poète,

Ces deux fruits délicieux que le soleil dorait.


J’ai frôlé le contour de ces deux mappemondes

Et senti sous ma main le plus doux des satins.

J’ai connu la beauté des trésors de Golconde

Quand sur ton mamelon, de ce geste incertain


Qui me faisait frémir jusqu’au fond de mon être,

J’ai posé mon index comme sur du corail.

Une ardeur m’a saisi qui me faisait renaître


Et je me suis senti l’âme d’un samouraï.

Car j’étais investi d’une mission secrète

Faire de votre sein, Madame, la conquête.


*

À te voir alanguie sur ta natte rugueuse,

Belle amazone aux grands yeux clairs,

Je songe à ces oiseaux que la mer amoureuse

Porte nonchalamment dans l'air.

Je voudrais sur ta peau écrire un long poème

Et taire l'orgueil assassin

Qui me fait oublier que les étoiles sèment

Une pluie d'or dessus tes seins...




Sur ses fesses


Il fut un temps où j’errai sous la lune

À la recherche d’inspiration,

Lors vous étiez d’entre toutes les brunes

Celle qui suscitait l’attention.


Experte à l’arc, douée comme pas une

Dans l’art subtil de la conversation,

Votre beauté était si peu commune

Qu’elle forçait mon admiration.


Mais ce n’est rien comparé à ces fesses

Qui nous ont fascinés par tous les temps.

Là nulle courbe jamais ne s’affaisse,


Tout a gardé sa fermeté d’antan.

J’aimerais, tant divine chasseresse,

Leur dispenser d’éternelles caresses.


*

Oh, Madame si vous saviez

À quel point ces rondeurs sont douces,

Quoiqu'entachées d’un peu mousse,

Plus souvent vous promèneriez


Vos charmes par toute la brousse,

Et tout serait ensoleillé

Par cette lune à l’orbe envié

Par les plus ronds des pamplemousses.


II

Le Livre des passantes



Penchée, le front studieux, vous cherchiez dans vos songes

Une phrase perdue, entendue par hasard,

Mais qui vous avait plu comme plaît un mensonge

Ou quelque objet clinquant trouvé dans un bazar.


À l’instant cependant où le couchant prolonge

Chaque ombre, et vous déforme au seul gré de son art,

Quand dans la nuit enfin peu à peu il vous plonge

En vous perçant le cœur un peu comme un poignard,


Une boucle dansant telle une liane sombre

S’est soudain détachée traçant sur votre peau

Un long filet de nuit, une cascade d’ombre


Qui sur votre cou blanc flottait comme un drapeau ;

Et je me suis senti pris d’une étrange ardeur,

Prêt à donner ma vie pour cet accroche-cœur.


*


C’était le soir, Alice, et tu sortais du bain.

Tu étais presque nue ayant noué à tes hanches

Une étoffe légère qui moussait pure et blanche

Imitant sur tes reins l’aile d’un chérubin.


Une dernière goutte, attardée sur l’épaule,

Descendait lentement dans le creux de ton dos.

Et  soudain j’ai pu voir dans cette perle d’eau

Palpiter l’univers de l’un à l’autre pôle.


J’y voyais incurvée comme un étrange hublot

La croisée de ta chambre ouverte sur le monde,

Et de cet œil partaient des routes vagabondes

Parcourant en tous sens ce pays bibelot.


La goutte a descendu le long du tatouage

Qui sur ton dos dessine un vocable secret.

On aurait pu penser que ce mot-là pleurait

De n’avoir révélé son précieux message.


Tu étais le mystère apprêté pour la nuit,

Tu étais le désir qui chaque jour m’échappe,

Le banquet merveilleux dont les tendres agapes

N’éclaireront jamais l’ombre de mon ennui.


Je me suis approché de cette mappemonde

Minuscule à l’instant où elle t’atteignait

Juste en ce creux des reins que le lin blanc ceignait

Et je me suis posé sur sa douce rotonde.


J’ai bu sur ta peau nue comme un nectar divin

Et ce seul souvenir palpite en ma mémoire.

Je n’ai plus d’autre faim ni d’autre envie de boire.

Qu’attendrais-je de plus, moi qui n’aime qu’en vain ?


Absence


Dans la cité joyeuse où des rires d’enfants

S’élevaient des jardins, des cours et des fenêtres

Où chacun se sentait doucettement renaître

Le printemps revenu déjà le réchauffant,


Dans la cité radieuse où l’éclair triomphant

D’un soleil retrouvé venait baigner les aîtres

De la moindre maison, fût-elle gîte de maître

Cabane de berger, castel ébouriffant…


Dans ce lieu de bonheur où j’errais solitaire

La main loin de ta main, sans le rire argentin

Qui m’est quand je l’entends, fût-ce dans le lointain,


Comme un baume sacré, une onction salutaire,

J’ai brusquement senti un malheur étouffant :

Tu me manques, sais-tu, tant que le coeur m’en fend


*

*    *


Pour sculpter dans la nuit la forme de ton corps.

J’ai pétri amplement cette matière sombre

Qui garde en souvenir des souffrances sans nombre

Mais qui conserve autant de langoureux accords.


Il m’a fallu chercher parmi tout ces décombres

Errer des jours durant pour choisir le décor

Jusqu’à toucher cette île, ce port et ce vieux fort.

C’est ici que j’ai pu dissiper la pénombre.


De ma mélancolie j’ai étreint la matière, 

J’en ai formé ton sein et ta croupe légère,

Ton sourire rieur à l’orbe délicieux. 


Tes cheveux d’or flottant sur la voûte des cieux

Formaient de mèche en mèche un monde en expansion.

Dans ton regard brillaient les constellations.


H.


Oh ! mon amour d'après l'été,

Quand la mort a tout dévasté 

En nous laissant le coeur en miettes,


Blessés comme on peut l'être, autant

Que par les autres : par le temps –

Par nos solitudes inquiètes,


Au bord de sentiers inconnus,

Nous errions tous deux en silence,

Si loin de toute turbulence,

Quand nous nous sommes reconnus.


Et ce fut comme le fer de lance, 

Comme un mal sourd et continu :

Rien ne nous avait prévenu

Contre l'amour et sa violence...


Mais, avant que nos coeurs s'arrêtent,

Tu pris ma main en chuchotant

De ce timbre clair et chantant


Qui souvent me monte à la tête.

Et j'ai su qu'on s'était trouvé

Oh ! mon amour d'après l'été !


À la dame sans merci

Ballade


Brillants Saphirs où ses yeux sont taillés,

Vous qui venez des cavernes profondes

D’où l’on entend râler la bête immonde

Qui des enfers s’est voulue le portier,

Dites-moi donc ce que font ses pensers

Lorsque parfois son esprit vagabonde

Et que le vent dans sa crinière blonde

Se prend un peu comme proie dans les rets…

Tous ses pensers qui vont au fil du temps

Sont-ils aussi féroces qu’on prétend ?


Tendres rubis qui ses lèvres formez,

Vous qui venez des trésors de Golconde

Et qui prenez cette forme gironde

Quand vous cherchez à former un baiser,

Dites-moi donc ce que font à la ronde

Ces mots troublants quand vous les prononcez,

Et qui lui font le bout du nez froncer…

Font-ils lever en elle un vent de fronde ?

Oui, dites-moi, ces mots doux et chantants,

Sont-ils aussi féroces qu’on prétend ?


Marbre si pur, où l’artiste a sculpté

D’un geste sûr, maniant la queue d’aronde,

Des doigts si fins qu’à les voir se morfondent

Les statuaires les plus réputés,

Vous qui, soudain, vous découvrez des ailes

Lorsque ces mains se mettent à danser

Et, dirait-on, cherchent à caresser

L’air alentour des manches de dentelle,

Sont-ils armés, ces doigts, cela étant,

De griffes si féroces qu’on prétend ?


Prince nombril, vous que son ventre tend,

Dites-nous donc si c’est vrai ce qu’on pense :

Qu’elle n’est faite que d’indifférence,

Et que son coeur, que l’on sent palpitant,

Est tout aussi féroce qu’on prétend…


Louise


J'aimerais cueillir la cerise

Qui de sa touche d'incarnat

Un soir teignit la courbe exquise

Du sourire qui vous orna


Et qui, tel un croissant de lune,

Tout doucement m'illumina.

Je songeais alors à la dune

Dont nulle rive encore n'a


Porté la courbe ou les ombrages

Sous la clarté du nirvana,

Mais qu'au terme d'un long voyage

Loin des villes, des médinas,


Nous aurions enfin découvert.

Votre tête sur mon épaule,

Vos yeux bleus à peine entrouverts,

Et pourtant sous votre contrôle,


Je vous aurais portée, ému

Jusqu'en ce lit de sable tendre

où, par la seule passion mu,

J'eusse enfin osé vous étendre.


Mes lèvres auraient parcouru

Votre corps sculpté dans l’ivoire

Et, sous mes baisers incongrus,

D'une rougeur propitiatoire


Votre teint se serait empreint.

Sous ma lèvre, la fleur sublime

Qui, tel un iris souverain,

S'épanouit en ce lieu intime


Sous la gouverne du désir,

Se couvrirait de l'eau céleste

Que secrète votre plaisir.

Là, gémissant à chaque geste,


Vous me feriez votre sourcier

Bénissant la grâce soudaine

Qui, vous fouillant plus qu'il ne sied

Vous ferait changer en fontaine.


Votre peau pareille au satin

Se couvrirait d'un voile humide

Comme la rosée du matin.

Vous diriez d'une voix candide,


Le regard égaré, lointain,

Mêlant votre haleine à la mienne:

"Oh ! Prends-moi, je suis ta putain."

Oh ! ma reine, ma souveraine,


Tout en baisant votre front pur,

J'ouvrirais lentement vos cuisses

Afin que d'un mouvement sûr

Jusqu'au fond de vous je m'immisce.


Plus tard au milieu de la nuit

Lorsque le désir s'amenuise

Je vous ferais l'amour sans bruit

Et sans vous réveiller, Louise.


Et j'irais cueillir la cerise

Qui, comme un précieux grenat,

Au cœur de votre fleur exquise

Vaut tous les trésors des khanats.


Lahna


À peine vous ai-je entrevue

À ce balcon couvert de fleurs,

Que j’ai soudain senti mon cœur

Battre de façon imprévue.


Me voilà pris au dépourvu,

Sitôt qu’à votre lèvre affleure

Votre sourire et que m’effleure

Votre souffle léger. Pourvu


Que vous m’aimiez, j’oublie ma peine,

Et m’en vais par monts et par vaux

Chanter celle qui pour moi vaut


Plus que tous les trésors des reines.

De ses flèches mon cœur s’empenne.

Car mon sang bat pour Lahna Paine


*

(Chanson)



Comme un qui a perdu sa route,

J’errai seul à travers tout Gor.

Je ne cherchai rien que la mort,

Étant assailli par le doute

Qu’amour, de détour en détour,

Allait bientôt passer mon tour.


Mais voilà que soudain ta main

Par-dessus tant de précipices,

Et tant de beaux esprits complices

Qui  ricanaient sur les chemins

Ta main m’a, comme à contre-jour

Tiré de ces nuits sans amours.


Depuis mon cœur n'a plus de peine,

Ô, Lahna Paine !

Ta main est là…

C'est ton sourire qui me mène,

Ô, Lahna Paine !

Bien au-delà des lois

Et de la rancœur quotidienne,

Ô, Lahna Paine ! Ô Lahna !


                        II


Depuis que j'ai croisé ta route

Je ne crois plus aux mauvais sorts

Et ma plume prend son essor

Pour te chanter entière et toute

Ma muse tendre, mon amour

Ma lampe claire au point du jour.


Si je prends aujourd'hui ta main

Et tes lèvres aux senteurs d'épices,

Tu restes ma libératrice,

Celle qui m'ouvre le chemin.

En rien tu ne seras soumise

Que seul le désir soit de mise.


Qu'un bonheur fou soit notre étrenne

Ô, Lahna Paine !

Ma main, prends-la.

Laisse-moi boire à ta fontaine,

Ô, Lahna Paine !

Et que les prêtres-rois

Fassent brûler flammes sereines

Lahna Paine !

Nos feux de joie.


Beggar’s Banquet


Marquise qui passez en versant votre obole

Sans jeter un regard sur l’épave à vos pieds,

Et qui vous enfuyez sans même une parole,

Reprenez vos trois sous tant ils me font pitié.


Partez donc pour Venise chanter vos barcarolles,

Défiez de votre teint les cieux ensoleillés,

Mordez à pleines dents dans votre vie frivole,

Et, dans des draps de soie, laissez-vous effeuiller.


J’ai, quant à moi, plus d’or dans mes yeux de misère

Que jamais vos banquiers n’en pourront vous prêter,

Et les mines sans fond que vos forçats creusèrent

Ne parviendront jamais à autant rapporter.


De l’eau du caniveau, je sais faire des fleuves,

De la plus humble grange un des meilleurs hôtels,

J’allume des soleils, où qu’il vente, où qu’il pleuve :

Quand la bise vous fend, il n’y a rien de tel.


Je vois des océans dans une pauvre mare

Et des bateaux partir aux îles sous le vent.

Ce trottoir n’est-il pas en marbre de Carrare ?

Quelle est cette princesse, au loin, sur son divan ?


Vous voyez bien Marquise à quel point vos trois pièces

Vous feront plus défaut qu’à moi, pauvre mendiant,

Qui suis riche à millions des superbes promesses

D’un monde qui du rêve a tous les ingrédients.


Ce soir, le boulanger, sans que rien ne le presse,

Aura bien un quignon de pain à me donner,

Et l’eau de la fontaine est fraîche à mon adresse :

Je lui trouve parfois comme un goût citronné.


Et puis s’il faut tout dire, tout avouer Marquise,

Vêtu de seuls haillons, je n’ai plus jamais froid :

Je me chauffe la nuit dans les bras d’Héloïse,

Et son corps à lui seul est un festin de roi.


*



Sur le chemin qui mène à la sagesse,

J’ai rencontré ma plus belle folie

En qui la grâce à la force s’allie

Avec l’amour et toutes ses largesses.


Autour de nous l’Envie inaltérable

Se gausse et rit de notre étreinte émue.

Alors que nous, en cette ultime mue,

Nous nous savons tous deux inséparables.


On dit qu’ailleurs, sur des terres lointaines,

Les Dieux, voyant les deux sexes fondus,

Les ont voulu tristes et morfondus,

Leur imposant une douleur certaine,


Et, d’une lame qu’on dit redoutable,

Loin l’un de l’autre  les ont séparés,

Ce qu’avec nous nul ne peut espérer,

Puisque nous resterons inséparables.


Sur le chemin qui mène à la sagesse,

J’ai rencontré ma plus belle folie,

En qui la grâce à la force s’allie,

Avec l’amour pour dernière largesse...


Pour Eva


Sa cascade de cheveux blonds

Comme un océan de blés tendres,

Quand votre cœur gèle à pierre fendre

Et que le temps paraît si long,


Vous chauffe comme un feu douillet

Qui pétillerait sous la cendre,

Vous empêchant de redescendre

Dans ce dédale où vous erriez.


Alors, en lui disant « Ça va »,

Vous avez envie de l'étreindre,

D'éviter à jamais de feindre

Et lui dire « Merci, Eva ».


Dans ce monde où tout est gravat,

Où toute beauté reste à peindre,

Où la souffrance vient éteindre

Le moindre espoir qu'on conserva,


Il reste une lampe radieuse

Dans les ténèbres tortueuses,

Lorsqu’à vau-l'eau, là, tout s'en va,

Et c'est le sourire d'Eva.


*


Dans le regard d'Eva, j'ai vu tous les mystères,

Les secrets oubliés de tel masque de fer,

De tel enfant perdu de ténébreuse affaire :

Dans le regard d'Eva, j'ai vu le fond des mers.


Sur les lèvres d'Eva, j'ai lu le sourir fier

Et tendre cependant, comme l'orange amère,

Comme un dernier soupir lumineux qui se perd

Sur les lèvres d'Eva, dans la ténèbre où j'erre.


Près de ta cuisse, Eva, coule une source claire

Où viennent s'abreuver, comme en un sanctuaire,

Tous ceux qui savent l'art de faire vibrer ton cœur.


Songe alors à celui qui n'est qu'un pauvre clerc,

Qui ne saura jamais adopter de grands airs,

Et qui trop loin de toi, mais l'âme en feu se meurt. 


*


Dans l'eau de ton regard, j'irai puiser les perles

Sous la vague battante où l'écume déferle,

Et s'il faut me noyer, je plongerai quand même,

Car au fond de tes yeux brûle le feu que j'aime.


Oui, j'aime tes colères et ton incandescence,

Tes mots durs qui sont doux, lorsque sans réticence

Tu les jettes, furieuse, au pauvre rimailleur

En le priant d'aller traîner sa guêtre ailleurs.


Tu n'aimeras jamais le regard que je porte

Sur l'univers perdu où tu t'es fait un nom.

Tu n'aimeras jamais mes vers, mais peu importe.

Moi, j'aurai célébré le monde où nous passons.


Et surtout j'aurai dit la félicité tendre

De m'en aller, Eva, me coucher sous la cendre,

Afin que jamais plus tu n'entendes la voix

De celui qui, toujours, n'exista que pour toi.


*

(Sonnet double)


Oh ! mon amour d'après l'été,

Quand la mort a tout dévasté

En nous laissant le coeur en miettes,


Blessés comme on peut l'être, autant

Que par les autres : par le temps –

Par nos solitudes inquiètes,


Au bord de sentiers inconnus,

Nous errions tous deux en silence,

Si loin de toute turbulence,

Quand nous nous sommes reconnus.


Et ce fut comme un fer-de-lance,

Comme un mal sourd et continu :

Rien ne nous avait prévenus

Contre l'amour et sa violence...


Mais, avant que nos cœurs s'arrêtent,

Tu pris ma main en chuchotant

De ce timbre clair et chantant


Qui souvent me monte à la tête.

Et j'ai su qu'on s'était trouvé

Oh ! mon amour d'après l'été !


Diam


Nul besoin de partir jusques en Amérique.

Je connais un pays moins loin que l'oncle Sam,

Une nation secrète, et tendre, et féerique :

On y pose la lèvre : et c'est le corps de Diam.


Lorsque l'aube naissante approche de la soie

Que gonfle lentement le souffle de son sein,

Que sur le mamelon un rayon d'or s'assoie

Caresse du soleil, loin du jour assassin,


Dans la demi-pénombre, ai-je vu ton sourir

Dessiner lentement une courbe parfaite

Tandis que je venais de mes lèvres guérir

La blessure d'un baiser que la nuit t'avait faite ?


Je me suis endormi au creux de ton épaule

Et j'ai senti bientôt ton souffle me bercer

Comme vous bercerait un monde qui vous frôle

Et que dans le sommeil on a laissé passer. 


Elleora


Elle est celle qu'on adora,

Belle danseuse aux gestes suaves,

À la démarche lente et grave,

Mais si rieuse Elleora.


On en garde le souvenir

À l'instant où l'hiver vous glace,

Et que vous vous sentez sans grâce

Voire : sur le point de partir.


Alors, vous vous dites le soir,

Quand l'âme se fait nostalgique

Et que se taisent les musiques :

Elleora c'était l'espoir…


Belyse


Elle a des yeux bleus de pervenche,

Une robe de satin blanc...

C'est pourtant par une aube blanche,

Où vous marchez contre le vent,

Vous vous sentez le cœur qui flanche...

Et puis soudain l'air s'électrise :

Une fée est passée tout près

Et le soleil vient tout exprès,

Et la bise se change en brise :

Vous venez de croiser Bélyse…


*


Elle est celle qu'on idolâtre,

Que l'on voudrait, un soir, chanter,

Lorsque pétille au coin de l'âtre

L'ultime flamme du brasier...

Vous vous penchez à son oreille,

Et vous lui dites intimidé :

« Bélyse en vous tout est merveille

Et l'on ne peut que vous aimer »


Les Lèvres de Pénélope


Entre les seins de Pénélope

Un oiseau-lyre a fait son nid.

J'aimerais en catimini

Que, de son aile, il m'enveloppe

Entre les seins de Pénélope...


Là où ses jambes se délient

Est un bosquet aux frondaisons

Plus frisées que sont les moutons

Et si douces que c'est folie... 

Là où ses jambes se délient,


On voit pousser, chaude et humide,

Une mousse tendre aux baisers,

Près d' un coquillage nacré

Dont le moindre bruit intimide

Le firmament chaud et humide.


Parfois il y coule une source

Où s'en viennent désaltérer

Les grands fauves enamourés,

Epuisés par leur longues courses

Sur les chemins de la Grande Ourse.


Mais les lèvres de Pénélope

Font perler souvent de gaieté

Un rire au timbre si flûté

Qu'il émeut jusqu'aux misanthropes.

Mais les lèvres de Pénélope,


À la saveur douce et nacrée,

J'aimerai aux soirs interlopes

En découvrir le goût sucré...

D'y songer mon coeur fou galope...

Ah ! les lèvres de Pénélope...


Brève histoire


l ne faut point hâter les choses :

Vous êtes si tendre bourgeon,

La taille fine comme un jonc.

Laissons s’épanouir cette rose.


Quand, au bout de quelques saisons,

Je viendrai cueillir sur vos lèvres

La bouche en feu, le corps en fièvre

Les fruits de notre déraison,


Plus forte sera notre sève

Et plus fous encore nos baisers,

Tant le désir aura creusé

En nous la forme de nos rêves.


Oh ! Lynn… je voudrais tant vous prendre

Tout de suite et à chaque instant.

Je sais bien qu’il est mieux pourtant

De nous laisser le temps d’attendre,


Afin d’à jamais nous éprendre

L’un de l’autre, et entièrement.

Avant que d’être deux amants,

Il faut vous et moi nous apprendre



III
Le Livre des esclaves



Belle esclave aux cheveux de cuivre,

Toi dont le seul parfum m'enivre,

Viens poser ta joue sur mon sein

Tandis que sonne le tocsin

Et qu’autour de nous la mort rôde,

Tel un assassin en maraude.


Contre mon torse palpitant

Tu oublieras les tristes temps

Que colportent les gens de guerre,

Celle qu’on prétend la dernière

Comme tant d’autres, nous laissant

L’âme entière à feu et à sang.