Issu de la noblesse de robe, Cyrano de Bergerac, fait ses humanités au collège de Beauvais avant de rejoindre, à vingt ans, la Compagnie des Gardes. Sérieusement blessé en 1640, il quitte l’armée et commence à fréquenter les cercles libertins.
Poète et dramaturge (La Mort d’Agrippine, 1653, Le Pédant joué, 1654), Cyrano est surtout connu des amateurs d’utopies pour Un autre monde, ouvrage dont une version expurgée nous est parvenue sous le titre d’Histoire comique contenant les États et empires de la Lune (posthume, 1657), augmentée, en 1662, des États et empires du Soleil (Un autre monde, Paris, Gallimard, «Folio classique», 2004). Décidé à visiter la lune, le protagoniste et narrateur de ce caprice philosophique emprunte tout d’abord un moyen pour le moins fantaisiste: il s’entoure le corps de fioles de rosées censées l’assujettir à l’attraction solaire. Il parvient à s’envoler quelque temps, mais c’est pour atterrir au Québec. Il ne s’avoue pas battu pour autant et confectionne une machine volante. Après un nouvel échec, l’appareil, doté par l’armée de fusées d’artifice, lui permet de s’élever dans le ciel. Et comme il s’est enduit le corps de graisse de bœuf pour soigner les blessures occasionnées par ses précédentes tentatives, la lune, qui aime à «sucer la moelle des animaux», fait le reste et l’attire vers elle. L’aéronaute découvre alors une société de faunes et satyres quadrupèdes qui le prennent pour la femelle de Gonzalès, l’animal de compagnie de leur reine – et accessoirement le héros de L’Homme dans la lune de Francis Godwin [The Man in the Moon, 1627] –, personnage qu’on entreprend aussitôt d’accoupler au malheureux (?) protagoniste... L’aventure, dont le caractère licencieux est à peine dissimulé, permet de découvrir les mille et une merveilles de la société lunaire: villes mobiles, livres parlants, nutrition par l’odeur, etc., le tout pimenté de dissertations sur l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu ou l’origine du monde…
Qu’il s’agisse de rejoindre le soleil ou d’en décrire les habitants, la seconde partie de l’ouvrage n’est pas moins riche en inventions de toute espèce: vaisseau spatial mu par un «miroir ardent» concentrant les rayons solaires, œil artificiel permettant d’y voir la nuit, horloge à vent, mais surtout êtres protéiformes changeant d’apparence au gré de leur fantaisie, société d’oiseaux, gouvernée par les plus faibles ou encore arbres pensants. Un autre monde révèle ainsi un auteur bien décidé à rompre avec l’anthropocentrisme et, à ce titre, l’un des initiateurs de la science-fiction.
À lire: Œuvres complètes, 3 vol. Paris, Champion, 2001.
Études: Guilhem Armand, L’Autre Monde de Cyrano de Bergerac: un voyage dans l'espace du livre, Paris, Lettres modernes Minard, 2005; Jean-Charles Darmon, Le Songe libertin: Cyrano de Bergerac d'un monde à l'autre, Paris, Klincksieck, 2004