Les Bougreries d’Escarpin


Acte I

Premier Tableau
l’Échoppe d’Abd al-Halim


Scène 4. Idriss, puis Abd Al-Halim.


Idriss, s’approchant de la babouche en se frottant les mains. – Oui, mon petit maître, laissez-moi seul, que je m’occupe un peu de cette coquine. (Il caresse longuement la babouche, puis y pose ses lèvres.). Génie de la pantoufle, ô Grand Génie! Sors de ce petit ventre bombé et viens exaucer mes vœux! (Il regarde autour de lui, dans l’espoir de voir se dresser le génie. À voix haute:) Il n’y a pas à dire, ce maudit Nacer avait raison, il doit falloir y plonger la langue! J’espère seulement que le maudit savetier n’y aura pas déjà passé le pied (Il se bouche le nez, et glisse la langue dans le petit trou qu’Abd Al-Halim a découpé sur la babouche, juste au sommet du coup de pied. Puis il regarde à nouveau autour de lui.) Pas plus de génie que de beurre en branche! Il doit falloir dire certains mots magiques… De ces mots qu’on trouve dans les contes… (Il se met à nouveau à embrasser et lécher goulûment la babouche.) Sésame, ouvre toi… Naye! C’est idiot, c’est du cuir qu’il nous faut… Boskette, ouvre toi! Kailiauk, ouvre-toi! Lart, Tabouk, Leem, Tarsk… Ouvre-toi, ouvre-toi! Ouvre-toi!

(Entre Abd Al-Halim.)

Abd Al-Halim, se ruant sur Idriss. – Mais que fais-tu maudit animal? à bécoter, baisoter, mignoter ma babouche? La prendrais-tu pour une  une fille des rues? (Il lui tape dessus à grands coups de bâton). C’est-un-pré-sent-pour-le-Pa-cha, te dis-je, bougre de sleen, un-pré-sent-pour-le-Pa-cha (Il donne un coup en détachant chaque syllabe.)

Idriss. – Ta - ah! - al renouvelé, mon Maître. Ça va, ça va, j’ai compris, ne vous fâchez pas. (Les coups s’arrêtent de pleuvoir.) Vous allez donner au Pacha une pantoufle magique?

Abd Al-Halim. – Mais où es-tu allé pêcher qu’elle était magique, bougre d’animal? C’est une babouche tout ce qu’il y a de normal… Si l’on pouvait un jour y glisser son petit pied…

Idriss, écarquillant les yeux. – Le petit pied du pacha?

Abd Al-Halim. – Bien sûr que non, imbécile. C’est d’Aïcha, qu’il s’agit.

Idriss, au comble de l’étonnement. – D’Aïcha? 

Abd Al-Halim. – La nouvelle favorite du Pacha. Elle est divine! Regarde la bague que je viens d’acheter pour elle.

Idriss, comprenant soudain. – C’est donc cela. (Il se jette au cou d’Abd Al-Halim.) Oh! Mon maître, que je suis heureux…

Abd Al-Halim, le repoussant violemment. – La peste de ces effusions! Ce bijou n’est pas pour toi, verr bâté.

Idriss. – Je sais bien mon maître. (À part:) Comme si, de toute ma vie, il m’avait fait le moindre cadeau! (À Abd Al-Halim:) Je suis tellement content que vous soyez amoureux d’une femme.

Abd Al-Halim, sèchement. – Mais de quoi voudrais-tu que je le sois, sombre vulo? D’une kaiila? Ou même… de cette babouche que tu bécotais tout à l’ahn? (Il éclate de rire).

Idriss, piqué au vif. – J’admirais votre travail, maître, tout simplement!

(Entre Nacer, déguisé en femme).


ahn