Les Bougreries d’Escarpin


Acte I

Premier Tableau
l’Échoppe d’Abd al-Halim

Scène 5. Abd Al-Halim, Nacer, Idriss.


Nacer, d’une petite voix de tête et en faisant mille grâces. – Tal, Messires! L’un de vous pourrait-il m’indiquer le chemin du harem.

Idriss, bombant le torse. – Tal, douce maîtresse! Je puis vous y conduire. Et une fois arrivée devant la royale porte, peut-être pourriez-vous m’accorder la petite récompense que vous jugerez adéquate. (Il s’approche.)

Nacer, reculant. – Une récompense à un esclave? Tu n’y penses pas, kajiru!

(Idriss se prépare malgré tout à lui montrer la route, quand Abd Al-Halim s’interpose. Il donne un violent soufflet à son esclave.)

Abd Al-Halim. – Depuis quand les animaux lèvent les yeux sur les dames. Tal, douce Dame. Je suis le savetier Abd Al-Halim. (Il s’incline.) Pour vous servir. (Il s’incline à nouveau, puis s’approche, un tantinet libidineux.) Je vous conduirai au harem moi-même. (Il se prépare à prendre le bras de Nacer, quand celui-ci, feignant la surprise, fait mine de découvrir la babouche.)

Nacer. – Oh la jolie babouche. Pourrais-je l’essayer?

Abd Al-Halim. – Hélas, madame, elle n’est plus à vendre. Le Pacha me l’a déjà réservée. (Il s’approche de Nacer.) Mais si vous êtes douce et gentille, je pourrais vous confectionner une paire absolument identique. (Il lui met la main sur les fesses.)

Nacer. – Ah! (Il se retourne pour gifler son père, mais se ravise.)

Abd Al-Halim, lui arrachant son voile et se préparant à l’embrasser. – Ma perle du Tahari!

Nacer. – Ah! Papa!

Abd Al-Halim, se reculant vivement, sur le ton de la surprise. – Ah, mon fils!

Nacer. – Ah! Papa!

Abd Al-Halim, lui tournant le dos, sur le ton de la déception. – Ah, mon fils!

Nacer. – Ah! Papa!

Abd Al-Halim, avec le plus profond désespoir. – Il ne me suffisait pas d’avoir un kajiru idiot qui s’éprend d’une babouche, jusqu’à lui lécher tout le cuir (Il donne un coup sur la tête d’Idriss.) Il fallait que mon fils, mon fils le plus jeune et le moins dégrossi, soit un pervers, un travesti. Mais où va donc Gor, si les nouvelles générations empruntent ainsi les chemins de la décadence?

Nacer, retirant sa coiffure. – Mais mon père! Je ne suis nullement inverti. Je m’étais déguisé pour m’introduire dans le harem.

Abd Al-Halim. – Et pourquoi t’introduirais-tu dans ces lieux interdits?

Nacer, un large sourire, un peu idiot, sur les lèvres. – C’est, voyez-vous mon père, parce que j’aime… Un rêve, une étoile, une pure déesse.

Abd Al-Halim. – Moui… Et peut-on connaître le nom de l’heureuse élue?

Nacer. – Il s’agit d’Aïcha, mon père! La nouvelle favorite du Pacha.

Abd Al-Halim, à part. – La peste de Bazi! Voilà mon fils qui s’érige en rival! (À Nacer:) Je t’interdis, m’entends-tu?, de le lever les yeux sur le bien de notre Pacha. Tu finiras aux galères, ou même dans les mines de Klima.

Nacer. – Mais mon père!

Abd Al-Halim. – Rentre à la maison, et retourne à tes études, jeune abruti.

(Nacer obéit et sort.)