Les Bougreries d’Escarpin


Acte I

Deuxième Tableau
Le salon d’apparat du harem

Scène 2. Hadda, Aïcha, Ismée, Leyla.


Hadda, se dirigeant vers un amas de coussins et murmurant, à l’intention d’Ismée. – Voici donc la belle Aïcha. Il va falloir jouer serrer, Ismée, la garce est horriblement belle. (Elle s’assied sur les coussins, affectant une grande fatigue. À voix haute, s’adressant à Aïcha:) Ainsi, c’est vous la nouvelle favorite de mon royal époux?

Aïcha, s’avance les yeux baissés puis fait une courte révérence. – Aye, je me nomme Aïcha, Majesté. Je vous salue bien humblement…

Hadda, chassant une mouche imaginaire. – Oui, tal! (Puis, l’index tendu vers le sol, faisant signe à Aïcha de pivoter sur elle-même.) Tournez-vous, mon petit, que l’on vous examine. Il est toujours bon de savoir avec qui fure votre partenaire et époux… (Aïcha s’exécute.) Vous êtes heureuse comme tout, je présume. Pour une fille de boutiquier, voilà une jolie promotion…

Aïcha, avec un air de modestie, mais se méfiant de la première dame du royaume. – Je ferai de mon mieux pour vous servir ainsi que votre époux, Majesté.

Hadda, glaciale. – Satisfaire mon époux n’est pas chose difficile. Une huître bâillant dans le sable y suffirait. Je suis quant à moi un peu plus difficile. Connaissez-vous l’art de la broderie?

Aïcha, à part. – La carne! Elle ne s’imagine quand même pas que je vais lui servir de domestique… (à Hadda:) Naye, Majesté. Je n’ai point d’imagination et, lorsqu’il me faut conter une histoire, je m’en tiens aux faits, je ne brode point.

Hadda, après avoir soupiré les yeux au ciel. – Et tisser, savez-vous au moins tisser?

Aïcha, à part. – Par tous les Sardars! La voilà vraiment préoccupée de se composer un nouveau trousseau… (à Hadda:) Naye, votre Précieuse Grâce. Je ne tisse ni complot, ni intrigue. La trame de l’étoffe finit toujours par s’en apercevoir (Hadda s’évente comme si elle avait chaud.) Je ne conspire…, ni ne transpire! 

Hadda, furieuse, serrant les poings. – Ainsi, je le vois bien, vous ne savez rien faire, à part vous abandonner aux caprices des hommes.

Aïcha. – Je ne saurais dire madame! Mon caractère est entier, et mon hymen tout autant…

Hadda, éclatant de rire. – Rassurez-vous, ma belle, cela ne saurait durer. Quelques lunes encore, et vous ne serez pas moins criblée qu’un bon fromage de Gru’Her.

Aïcha. – Quelques lunes? Si cela peut attendre un peu plus encore, sachez, Majesté, que je n’en serai point fâchée!

Hadda, avec une méchante grimace. – Ne rêvez pas, mon enfant. Ce cher et tendre Sadoq est généralement fort empressé à forer, percer et trouer la jeunesse! C’est qu’il lui reste peu de temps avant que sa mèche ne s’émousse... Mais au lieu de rester là, à bâiller aux tarneilles, et à me regarder comme la huitième merveille de Gor… Vous n’avez pas quelque paquet à défaire dans vos appartements, Damoiselle? Je dois m’entretenir avec Ismée…

Aïcha. – Tout le bien, Majesté.

(Aïcha fait une petite révérence, et sort, Leyla sur les talons.)

Leyla. – Cette fille vous salue bien, votre Gracieuseté. (À Aïcha, dans un murmure:) On s’étonne qu’il ne lui sorte pas des osts de la bouche quand elle vous parle! Ah! Que je comprends notre Pacha de la cocufier plus qu’il n’est raisonnable! Mais il ne peut rien contre elle, elle porte déjà ses cornes… Et ce sont manifestement des cornes de diable….

Scène 3. Hadda, Ismée.

Hadda. – Attendons, Ismée, que cette petite catin soit partie…

Ismée, courant jusqu’à la porte du salon. – Elles ne peuvent plus nous entendre, Maîtresse. 

Hadda. – Il faut briser cette fille, Ismée. Je tiens le Pacha de par ma naissance. Il ne me saurait répudier sans perdre une partie de ses terres. Pour autant, je me refuse à l’idée de le voir tomber amoureux de cette gamine. Ah! s’il me reléguait dans un coin du harem, je… (Elle se tait et serre les poings de rage. Une pause.)

Ismée, se caressant le menton, comme si elle portait une barbe. – J’entrevois bien un moyen qui la perdra à coup sûr, Maîtresse.

Hadda. – Ah! Dis vite… (Elle bat des mains comme une fillette devant un cadeau.) Que ferais-je sans ton esprit retors, Ismée? Allons, parle ma fille! Qu’as-tu encore imaginé?

Ismée. – Elle a prétendu être pucelle, je me trompe?

Hadda. – C’est exact, ma fille. Voilà d’ailleurs pourquoi cet idiot de Sadoq a payé pour elle un prix exorbitant… Cent tarns d’or, tu imagines?

Ismée. – Et si nous faisions en sorte que pucelle, elle ne le soit plus?


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