Les Bougreries d’Escarpin


Acte I

Deuxième Tableau
Le salon d’apparat du harem

Scène 2 (suite). Hadda, Aïcha, Ismée, Leyla


Hadda. – Mais comment? (Elle réfléchit.) Bien sûr… je pourrais convaincre tel ou tel de mes amants d’aider à la besogne. Mais je crains que ce soit trop dangereux pour moi! Suppose qu’on en prenne un sur le fait… Nous aurions bonne mine… Quant aux eunuques. Ben justement, ils ne peuvent plus lui faire grand-chose. Quoiqu’avec la langue et les doigts…

Ismée. – J’ai mieux que cela, Maîtresse… Même si, je dois l’avouer, la langue est bien loin d’être un organe absolument négligeable! Voilà à quoi j’ai pensé… (Elle sort un godemichet dessous ses soies.)

Hadda. – Fichtre le bel engin! Mais comment enfiler notre perle là-dessus?

Ismée. – Il faut la prendre par surprise, la séduire et lui donner un bon coup de ce braquemart. J’ai mené ma petite enquête. La belle a eu au temps de son adolescence un doux ami qu’elle aimait tendrement. Il lui fut enlevé voici cinq ans, et cela avant que les tourtereaux n’aient commis l’irréparable. Cinq ans! C’est bien long à l’époque où le corps change! Si vous vous déguisiez en homme et que vous vous fassiez passer pour le disparu… 

Hadda. – Ah, petite! Voilà qui hors de question. Non seulement cette fille me répugne, mais les lois du Tahari seraient contre moi… Imagine que le Pacha me surprenne en homme, il me fera juger comme travesti et la loi lui donnera alors le pouvoir de détourner mon héritage. C’est le seul cas, tu sais bien, hormis la mort sans descendance de sexe faible, oui le seul cas où une province ne se transmet pas de la mère à la fille. Or dois-je te rappeler que ma dot se compose de près de la moitié du royaume?…

Ismée. – Mais vous n’avez pas de fille, maîtresse!

Hadda. – Qu’importe, Aïcha, elle, se pressera d’en avoir. Naye, il est plus prudent que l’homme, ce soit toi…

Ismée. – C’est que… Je risque cent coups de fouets pour m’être déguisée en libre, et mâle de surcroît!

Hadda. – Qui te parle de libre? Ne serait-il pas plus drôle de faire un kajiru de cet amour d’antan. Et si tu te fais prendre, j’expliquerai au Pacha que l’idée vient de moi, et que mon propos était de la protéger d’une fausse vierge à la cuisse trop légère!

Ismée. – Si vous le promettez, Maîtresse, marché conclu!...

Hadda. – Douterais-tu de ma parole, ma fille?

Ismée. – Certes non, ma tendre Maîtresse, mais… Ah! J’entends qu’on vient. Ce doit être le Grand Eunuque intérimaire…

Hadda, fronçant les sourcils. – Intérimaire, qu’est-ce encore que cette invention-là?

Ismée. – Notre bon Selim est souffrant. Votre divin Époux lui a accordé quelques vacances. Et entre-temps, il a embauché un jeune homme qu’on lui a chaudement recommandé…

Hadda, une lueur d’espoir sur le visage. – Par les Prêtres-rois, dis-moi qu’il est encore entier!

Ismée. – Il a bien deux bras et deux jambes…

Hadda. – Ah! Je ne te parle pas de cela. (Elle montre son entre-jambes.)

Ismée. – Oh! De ce côté, je crains que ce soit sans espoir. L’homme avait tous les certificats possibles. En outre, quand le Pacha m’a demandé de me mettre nue, et de m’asseoir sur l’engin du postulant, nulle émotion n’a transparu. S’il n’est pas castré, il est de marbre… Enfin, de marbre mou…

Hadda. – Quel désespoir, pour une fois qu’on aurait pu s’amuser!


Scène 3. Hadda, Ismée, Idriss.


Entre Idriss, déguisé en Grand Eunuque, avec des vêtements d’apparat et une barbe postiche.


Idriss, d’une voix de tête. – Tal, votre précieuse Grâce. On m’envoie vous transmettre certain message.

Hadda, à Ismée, dans un murmure. – Le soprano est beau garçon. Quel dommage qu’il ne chante pas dans les graves. (À Idriss, d’une voix forte:) Tournez-vous mon garçon, que je voie à qui j’ai affaire. (À Ismée, chuchotant:) Joli cul et longues jambes. Je vais m’occuper de lui. Je trouverai bien comment soigner sa nature marmoréenne. (À Idriss:) Vous aviez quelque chose à me dire, Grand Eunuque?

Idriss, toujours de sa voix de tête. – Aye Majesté! On me prie de vous faire savoir que le tapis est arrivé…

Hadda, avec une intonation de surprise. – Le tapis? Mais quel tapis?

Idriss. – Celui que le Pacha commanda à l’Oasis des Tajuks. C’est un présent. Une kajira nommée Lumi l’aurait tissé à votre intention. Les motifs en sont… (avec une petite moue de dégoût.) très modernes!

Hadda, tapant dans ses mains comme une petite fille. – Un cadeau! J’adore cela! Et du Pacha en plus! Serait-ce que je reviens en grâce? Allons voir cela, Ismée! Où se trouve ce présent de roi, Grand Eunuque?

Idriss. – Dans le salon d’apparat votre grâce.

(Hadda et Ismée sortent.)