Les Bougreries d’Escarpin


Acte I

Deuxième Tableau
Le salon d’apparat du harem

Scène 4. Idriss, seul.


Idriss. – Me voilà enfin dans la la place. Heureusement que Selim a bien voulu me faire confiance lorsque je lui ai parlé d’un complot contre le Pacha. Il fallait voir ses yeux quand je lui ai fait valoir que j’étais le mieux placé pour en démasquer les instigateurs. Il s’est rendu illico chez le healer pour faire établir tous mes certificats d’impuissance! Ah! ah!… Nous y voilà, mon cher maître! (Il donne des coups de pieds de le vide.). Vous êtes à présent rasé de près, parfumé, un peu développé de la caisse (Il imite en se pavanant une femme dotée d’une forte poitrine.), et soigneusement roulé, par les soins d’Escarpin (Il se montre du pouce.) dans un tapis. (Il fait mine serrer quelque chose comme s’il tordait le cou à une volaille.) Quand à vous, Monsieur le fils, (Il se voûte volontairement et se met à marcher de droite à gauche, les bras ballants, l’air idiot.) vous venez de passer par la grande porte, en compagnie son excellence le Grand Eunuque (Il bombe le torse, puis se relâche aussitôt)… intérimaire! Ah! Je vais pouvoir me venger des coups que vous m’avez donnés…

(Leyla entre par derrière et le considère longuement de dos, pendant qu’il arrange sa tenue toute neuve.)


Scène 5. Idriss, Leyla.


Leyla, à part. – C’est que l’animal est bien bâti. Dommage qu’il soit plus hongre qu’étalon… (Elle lui tape doucement d’un doigt sur l’épaule. Idriss se retourne vivement.) Ah!... C’est vous messire le Grand Eunuque?

Idriss. – Jusqu’au retour de Selim, titulaire de la charge, je le suis. Mustapha, le Grand Eunuque, pour assurer votre protection contre les fâcheux et contre vous-même… (Il s’incline.)

Leyla, contemplant d’une mise désolée l’entre-jambes d’Idriss. – Vous n’êtes donc pas impuissant dans l’affaire que je vous viens soumettre.

Idriss, du ton de la plus parfaite galanterie. – Je peux effectivement faire beaucoup pour les dames. (Il se ravise soudain.) Même si… J’ai mes limites (Il jette à son tour un coup d’œil sur son entre-jambes.) En quoi puis-je t’être utile, mon enfant…

Leyla, à part. À guère de choses malheureusement! (À Idriss:) C’est bien vous qui lorsque le Pacha vous le demandera, conduirez jusqu’aux appartement royaux la nouvelle favorite?

Idriss, d’un ton ferme et résolu. – Assurément!

Leyla. – C’est bien vous qui, avec l’aide de la camériste, ferez se mettre nue cette nouvelle perle du harem?

Idriss, d’un ton ferme, mais moins résolu. – Assu… rément!

Leyla. – Vous qui serez le premier homme (Elle se retourne, fait mine d’éternuer.) Atchie!... (À part:): homme ou presque!

Idriss . – À vos souhaits…

Leyla. – Vous qui serez, disais-je, le premier homme à contempler cette croupe d’ivoire, ce creux des reins nacrés et ces épaules rondes et pâles (Idriss donne quelques signes d’émotion. Leyla poursuit, mais à part:) Quelle menteuse je fais, quand on sait que ma Maîtresse a la peau du plus bel ambre, jusqu’en ses recoins secrets… Mais continuons… Aye, continuons à faire marcher notre imagination! (À voix haute:) le premier à entrevoir ces seins plus blancs que l’écume de Thassa, le premier encore à frôler les boutons de corail qui couronnent ces éminences…

Idriss, d’un ton bien peu ferme, et guère plus résolu. – As…su… ré…ment!

Leyla, brusquement. – Eh bien! Je vous demande de vous priver de ce spectacle.

Idriss. – Ah? Mais comment cela?

Leyla. – Rien de plus simple! Vous revenez bredouille auprès du Pacha, en lui disant que la favorite en question a disparu…

Idriss. – Mais il me tuera! Je ne suis qu’intérimaire.

Leyla. – Vous lui apporterez une forme de succédané.

Idriss, dont le visage s’éclaire. – Un succédané?... Mais que voulez-vous dire?... (Il réfléchit et à part:) Et si je lui offrais mon très cher maître ainsi sur un plateau… Il suffirait de souffler les lampes au bon moment… (À voix haute:) Et que m’offrirais-tu en échange? Un autre succédané?

Leyla, s’approche en minaudant. – Un baiser?

Idriss, la prenant par la croupe. – Voilà qui est bien peu…

Leyla, se dégageant en riant. – Je pensais que pour un homme de votre…  (Elle plonge une fois de plus du regard en direction de son entre-jambes.) … constitution, cela était plus que suffisant… Que feriez-vous du reste?

Idriss. – Les restes? Ah ça! Je sais l’art de les accommoder. N’ai-je pas deux mains et une langue? Alors, que me donneras-tu? Parle sans plus tarder. Je dois aller retrouver… mon… Euh! mon  Maître…

Leyla, sur un ton princier. – Eh bien, soit! Je vous abandonnerai toutes mes terres encore vierges (À part:) il ne te restera guère de régions à visiter, mon pauvre!

Idriss. – Marché conclu, ma belle. À tantôt! Tout le bien jusque-là! (Il sort.)