Les Bougreries d’Escarpin


Acte II

Appartements d’Aïcha



Scène 1 (suite). Nacer, Idriss, Abd Al Halim.


Abd Al-Halim, se prenant le front, trébuchant et feignant de s’évanouir dans les coussins. – Ma petite cousine Aïcha… La plus jolie de la famille. (Il se rattrape au paravent.)

Idriss. – Pardi! Si toutes les autres filles de votre sang sont comme vous, il n’y a pas grand mal! (À part:) On n’a jamais vu femme si laide et si acariâtre! Il est vrai que ce n’est que mon maître! Ah ça! Si je ne l’avais moi-même roulé dans le tapis, je ne le reconnaîtrai point.

Abd Al-Halim, à part, apercevant un morceau de tissu derrière le paravent. – Ah! mais… On dirait bien qu’il y a quelqu’un derrière ce paravent! La sublime Aïcha, sans doute… Essayons d’en apercevoir un peu plus (Il tire sur le morceau de tissu, qui se relève un peu et dénude les mollets de Nacer.)

Idriss. – Eh bien madame! Si vous devez vous abandonner au Pacha… Je me ferai un plaisir de vous mener jusqu’à lui! (Pendant ce qui suit, Idriss s’occupe à rouler le tapis.)

Abd Al-Halim, observant Nacer par les trous du paravent. – C’est que…  Laissez-moi un peu reprendre mes esprits! (Il s’assied et fait mine de s’allonger un instant. Mais il continue à lorgner par les trous du paravent. À part:) Le mollet est mignon, mais diantre! la belle Aïcha ne s’épile point régulièrement. C’est une vraie forêt qui foisonne sous ses jupons! (Se frottant les mains, toujours à part:) Une forêt, certes, mais vierge. Finalement, elle doit aimer les amours naturelles. C’est que je suis un peu comme cela, moi aussi… (Il glisse un doigt par l’un des trous du paravent et caresse le mollet de Nacer.)

Nacer, se raidissant. – Ah! La peste de la vieille! je suis tombé sur une tribade en rut…

Abd Al-Halim, avec un air de stupidité sénile. – Guili, guili, guili…

(Nacer bondit hors du paravent pour échapper aux chatouilles d’Abd Al-Halim. Mais comme celui-ci a accroché un pan de son haïk, ce dernier se déchire en deux. Nacer se retrouve en caleçon blanc à pois rouge au milieu de la scène. Idriss qui vient d’achever de rouler le tapis, éclate de rire.)

Abd Al-Halim, à part. – Ah! Aïcha est mon fils! Mon impression de tout à l’ahn se confirme! J’ai accouché d’un travesti… (Il se remonte la poitrine.) Enfin, accoucher… Je ne dois pas prendre mon rôle de femme trop au sérieux…

Idriss, le rire encore aux lèvres. Il fait semblant de ne pas connaître Nacer, afin de continuer à abuser Abd Al-Halim. – Allez vous cacher derrière le paravent, Sire, et rhabillez-vous. Si le Pacha vous trouve en si courte tenue et cela dans les appartements de sa nouvelle favorite, il vous fera exécuter, c’est sûr! Après d’horribles tortures, évidemment. (Nacer s’exécute, tandis qu’Abd Al-Halim, se tasse sur les coussins, et pique du nez. Sonneries de trompe.) Tiens! Quand on parle du larl, on en voit la queue! Le Pacha arrive. Restez bien caché derrière le paravent !


Scène 2. Le Pacha Sadoq, Abd Al Halim, Nacer, Idriss.


Sadoq. – Mon cher Mustapha. Je vais me rendre à tes conseils. Laissons la belle Aïcha s’habituer à mon palais.  Lorsqu’elle aura compris les portes du harem sont infranchissables tant qu’on n’a pas payé son écot, elle n’en sera que plus tendre. Mais tu m’as dit que ce soir, j’aurai droit cependant à une petite… compensation?

Idriss, montrant Abd Al-Halim, réduit à l’état de boule. – Aye, votre Sérénissime Grandeur! Cette femme brûle pour vous…

Sadoq. – Est-ce vrai, femme? (Abd Al-Halim hoche la tête.) Et comment t’appelles-tu, beauté de nos campagnes profondes?

Abd Al-Halim, d’une voix de fausset. – Houriya, mon Seigneur, qui vous salue modestement…

(Sadoq s’approche du savetier travesti, et d’un geste de l’index et du majeur lui appuie sur le font afin de lui faire relever la tête.)

Sadoq. – Eh bien, Houriya! montre-moi ton joli minois! (Abd Al-Halim s’efforce de baisser plus encore la tête, mais la pression exercée par le Pacha est trop forte et le force à se relever. Le Pacha recule d’effroi:) Ah, par les Prêtres-rois! Qu’elle est laide.

Idriss. – C’est que… Je n’ai pas eu le temps de la faire préparer, votre Sérénissime Grandeur. Mais vous verrez, maquillée, épilée avec soin, ce sera un délice. Et puis, pour l’avoir vue nue, je puis vous dire qu’elle a un cul… mais un cul… un cul de reine!

Sadoq, se frottant les mains. – Bien, bien bien!… Je te fais confiance. Vous autres eunuques, qui contemplez les femmes d’un point de vue purement esthétique, vous avez l’œil… Qu’on la prépare afin que je la puisse essayer sans tarder!

Abd Al-Halim, à part, mais de sa voix d’homme. – Ah! Je suis perdu!

Sadoq. – Qu’a-t-elle dit?

Idriss. – Rien d’important, Sire… Elle a simplement toussé. C’est que c’est une grande timide. Elle m’a demandé s’il était possible qu’on éteigne les lampes avant que vous la preniez.

Sadoq. – S’il n’y a que cela pour lui plaire!…

Idriss. –  En outre je dois vous dire… elle n’a guère de poitrine.

Sadoq. – Tu connais ma réputation, Mustapha. Ce n’est pas ce côté-là que j’honorerai ce soir… Allons, quittons ces lieux et passons à l’ouvrage!

(Sonnerie de trompes. Le Pacha sort. Idriss prend Abd Al-Halim par la main et l’entraîne de force à la suite de Sadoq.)