Les Bougreries d’Escarpin


Acte II

Appartements d’Aïcha



Scène 3. Nacer, seul.


Nacer. – Ah! je suis perdu! Mon haïk est déchiré. Je n’ai plus rien pour me déguiser… Si l’on me trouve ainsi, je suis un homme mort. Je ne puis pourtant demeurer de la sorte, derrière un paravent, tout le reste de ma vie. Ah! par tous les démons de l’enfer, quelle misère!... Mais j’entends que l’on vient. Restons cachés et taisons nous.

(Entre Leyla, déguisée en favorite.)


Scène 4. Nacer, Leyla.


Leyla, à part. – C’est que... Je dois m’exercer à jouer les nobles dames. (À haute voix, jouant les princesses:) Ah! Ces bains m’ont épuisée. Espérons qu’en m’y allongeant, ces coussins grossiers ne vont pas écorcher ma peau de satin. (Elle s’assied à côté du paravent.)

Nacer, à part. – Diantre, ce doit être Aïcha, la favorite. Elle va pouvoir me tirer de ce faux pas… Il faut que je trouve une raison bien noble à ma présence en ces lieux… (Il se colle contre le paravent et murmure:) Psssttt, princesse Aïcha, pssssttt!

Leyla, perdue dans son rôle. – Ah! C’est que je ne suis pas encore princesse… (Elle se redresse, et d’un ton de grande dame:) Mais qui parle? (Elle se redresse encore un peu et à part, avec son intonation normale:) Mais c’est vrai, ça! qui parle, nom d’un Sardar? (Elle regarde par les trous du paravent et aperçoit Nacer. Toujours à part:) Par la peste de Bazi, Nacer! Et tout nu! Il doit vouloir me rejoindre à tout prix (Elle joint les mains, les yeux en l’air, comme une midinette:) Quel amant exemplaire. Et moi qui trop souvent lui fais pousser des cornes!

Nacer. – Ne craignez rien, jolie princesse, je suis Nacer, le fils du savetier Abd Al-Halim…

Leyla. – Mais par le ciel que faites vous là… Et presque nu. Si l’on nous surprend, c’est la mort pour tous les deux…

Nacer. –  Je sais, mais si je dois mourir, je mourrai heureux, car si je suis à vos côtés, et dans cette tenue, c’est que j’ai lutté comme un larl pour défendre votre honneur…

Leyla. – Tiens donc! Et comment cela?… Vite! Faites-moi le récit de cette aventure peu commune.

Nacer. – Voilà, j’étais à la taverne de Klima…

Leyla. – À cajoler la belle Fawzia?

Nacer. – Certes point! Je n’ai jamais levé les yeux sur cette gourgandine!

Leyla, à part. – Oh le fieffé menteur que voilà! Mais laissons-le poursuivre…

Nacer. – J’étais donc à la taverne, quand j’ai entendu des hommes attablés près de moi parler de vous. Tous se vantaient de vous avoir eue avant le Pacha. Ils parlaient de vous en termes fort discourtois, détaillant un à un vos charmes et s’en moquant. Alors je vous l’avoue, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai dégainé mon cimeterre et me suis lancé sus leurs sales faces. Las! Ils étaient cinq, les mauvais, et j’étais seul. Alors ils m’ont assommé, mis pratiquement nu, saucissonné comme de la vulgaire viande de tarsk, puis roulé dans l’horrible tapis que vous voyez derrière vous… Voilà toute l’histoire.

Leyla, aux anges. – Et vous avez fait cela pour moi, pour votre Ley… (Elle se ravise et tousse:) pour l’Aïcha…

Nacer. – Aye-da, Aïcha, depuis que je vous aie vue, mon cœur ne bat que pour vous…

Leyla, l’air pincé. – Mais n’étiez-vous pas plus ou moins l’amant d’une jolie petite, piquante d’intelligence et de beauté? Une certaine… Leyla.

Nacer. – Plutôt moins que plus en effet… (À part:) La peste, on a donc déjà cherché à ternir ma réputation auprès de la favorite. (À voix haute:) Ce n’est là qu’une esclave, votre Grâce! Vous n’imaginez quand même pas qu’un homme de mon rang puisse se rabaisser à aimer une esclave. Les relations que j’ai eues avec cette fille n’étaient guère qu’hygiéniques. En la chevauchant, je ne songeai qu’à vos doux yeux, à vos cheveux parfumés…

Leyla, à part. – Je vais t’en donner, moi, des douceurs occulaires et des parfums échevelés. Ah! Traître! Tu vas voir ce qu’est l’hygiène, du moins à ma façon (À voix haute:) Et que puis-je pour vous, fidèle Nacer? (Elle appuie sur l’adjectif fidèle.)

Nacer. – Il faudrait me trouver des vêtements qui me permettent de passer incognito. Je pourrai sortir sans encombre…

Leyla, réfléchit un moment, puis à part. – Et si je lui donnais ces beaux atours de favorite? C’est lui qui aurait droit aux faveurs du Pacha… (À voix haute:) Je ne vois qu’une solution, Nacer: j’aperçois là par terre un morceau de soie (Elle désigne du doigt le morceau de haïk déchiré). Je vais le ceindre à mes flancs, après vous avoir passé ma tenue de favorite. Je passerai pour la dernière des kajirae… Mais si je puis ainsi vous sauver, qu’importe! Tournez-vous que je me déshabille.

(Tous les deux se tournent le dos. Leyla pose un à un ses vêtements sur le haut du paravent, puis elle attrape le morceau de soie et se le noue autour de la taille. À cet instant précis, entre Ismée, déguisée en kajiru.)