Les Bougreries d’Escarpin


Acte II

Appartements d’Aïcha



Scène 7. Ismée, Leyla.


Aïcha regarde un instant Nacer et Ismée s’éloigner, puis, se retournant vers Leyla. – C’est curieux… Ne m’avais-tu pas dit que ton amant Nacer portait d’horribles dessous à pois? Il a fait émules, dirait-on… Cette femme…

Leyla. – Ce n’est pas une femme, douce Maîtresse, c’est bien Nacer, mon ancien amant….

Aïcha. – Et la personne au phallus démesuré…

Leyla. – J’ai bien cru reconnaître Ismée, la première esclave de notre Reine.

Aïcha. – Eh bien! Dans quel monde somme-nous tombées, ma pauvre Leyla…

Leyla. – Et encore, ma pauvre maîtresse, je crains que nous n’ayons pas encore visité le fond du panier! Mais voilà le Grand Eunuque. Je vais me venger de Nacer sur lui. Oh! Maîtresse, je vous en prie, disparaissez derrière ce paravent, que je lui joue ma grande scène! (Elle fait jouer le morceau de soie qu’elle s’est noué autour des hanches.) Leyla, la séductrice!...

(Aïcha disparaît en riant derrière le paravent alors qu’Idriss entre.)


Scène 8. Aïcha, Idriss, Leyla.


Leyla, se dirigeant vers Idriss, en ondulant exagérément de la croupe. – Alors, bel eunuque, j’ai appris que notre plan avait fonctionné à merveille! (À part:) c’est rien de le dire, à côté de celui de ma pauvre Maîtresse! (À Idriss:) Tu viens chercher une juste récompense je suppose? (D’une main, elle commence à dénouer la soie dont elle s’est ceinte, et de l’autre main, invite Idriss à tourner le dos au paravent.)

Idriss. – Je t’en prie, ne te dévêts pas. Je plaisantais tout à l’ahn…

Leyla, visiblement contrariée. – Tiens donc? Voilà qui est fort dommage! Et que s’est-il passé pour que tu change ainsi d’avis?

Idriss. – Je suis fatigué, vois-tu. Certes, notre plan a fonctionnée et bien mieux que prévu… Le Pacha a passé, m’a-t-il dit, des ahns de rêve a chevaucher l’horrible femme cachée dans le tapis. Horrible femme qui se trouve être un homme. Un savetier de ma connaissance, de surcroît. Et lorsqu’il a découvert que la carne qu’il avait forcée à sept reprises, à ce qu’on dit… Aye! Lorsqu’il a découvert que c’était un homme, eh bien, contre toute attente, le Pacha ne s’en est point montré marri. Il a fait du vieillard son mignon. 

Leyla. – Mais en quoi cela t’affecte tant…

Idriss. – Je ne puis te le dire, Leyla, cela doit encore rester un secret entre mon ombre et moi-même… Baste! Et pour couronner le tout, je crois que ta maîtresse et moi allons tomber dans la pire des disgrâces.

Leyla. – Par tous les Prêtres-rois! Mais pourquoi cela?

Idriss. – J’ai été trop négligent, ma belle. Tout le harem raconte que j’ai laissé entrer un homme, et que cet homme, un soupirant de ta maîtresse, est parvenu à ses fins. Il l’a possédé sauvagement, ici, dans ces appartements mêmes, à ce qu’on dit.

(À l’annonce de cette nouvelle, Aïcha sort la tête par le paravent et fait de grands gestes à l’intention de Leyla. Celle-ci, faisant mine d’épousseter les épaulettes d’Idriss, lui fait signe de se taire).

Leyla. – Justement, il te faudrait un peu de réconfort… Que dirais-tu de venir pleurer sur mon épaule (Elle l’entraîne vers les coussins, y remet un peu d’ordre, puis l’invite à s’asseoir. Il s’exécute, mais garde ses distances. Leyla est assise contre le paravent, les spectateurs la voient de profil. Idriss est quant à lui assis de face, et à deux ou trois pas de la kajira.)

Idriss. – Il n’y a qu’une femme, vois-tu, qui puisse occuper mes jours et mes nuits… Or cette femme m’est à jamais perdue…

Leyla, une petite moue sur le visage. – Allons mon bel eunuque, je suis là, moi… Et j’ai tout ce qu’il faut pour une consolation de première classe!

Idriss. – Je n’en doute pas, Leyla. Tu es très belle… Mais je ne pourrai jamais plus poser mes regards sur une autre femme.

Leyla. – Tu m’en dis trop ou pas assez. Explique-toi, Mustapha.

Idriss. – Pour commencer, Mustapha est mon nom d’eunuque. Avant je me prénommai Idriss. (On perçoit un mouvement derrière le paravent. C’est Aïcha qui entendant ce prénom a tressailli.) Je ne sais quelle femme m’a donné le jour, ni quel homme fut mon père. Un matin, à l’aube, de pauvres pêcheurs ont trouvé devant leur porte un couffin, avec un bébé de trois mois dedans. L’enfant était seul et tétait son pouce en silence. Personne à l’horizon, et rien qui permette d’identifier le petit. Il y avait juste un billet, griffonné à la hâte et épinglé sur son vêtement. Ce morceau de parchemin, je le porte toujours sur moi. C’est tout ce que ma mère m’a légué. (Il sort le parchemin et lit:)

«Un astrologue prétend que mon fils un jour couchera avec la femme de son père. Mon époux a voulu qu’on noie l’enfant. Je le dépose à votre porte. Prenez soin de lui, par les Prêtres-rois…»