Les Bougreries d’Escarpin


Acte II

Appartements d’Aïcha


Scène 9. Aïcha, Leyla.


Aïcha, sortant de derrière le paravent en battant des mains. – Alors, il n’est pas adorable, mon amour de jeunesse?

Leyla. – Maîtresse! vous n’avez pas cessé de me le susurrer à l’oreille, pendant qu’il me parlait (Elle imite sa maîtresse, en ajoutant mille minauderies:) «C’est lui! regarde comme il est beau! que de nobles sentiments! etc. etc.» Ce n’était pas la peine de me dire tout cela! Dès qu’il a parlé de Chabahar, puis du riche marchand, j’avais deviné que c’était vous, l’amour de sa vie! Depuis que vous êtes arrivée à Samarkandt, vous n’avez cessé de me vanter les douceurs du climat dont vous bénéficiez dans votre petite ville natale, et de la maison de votre père, et de son verger! N’empêche que votre amour de jeunesse, ma petite Maîtresse, ben… il est coupé!…

Aïcha. – N’empêche que ton amour à toi, le beau Nacer, avec ses dessous ridicules, eh bien… il te trompe avec Ismée, et d’une façon pour le moins curieuse!

Leyla. – Ah, oui, venons-en à cela! Vous n’êtes pas un peu surprise du bruit qui court par tout le harem, selon lequel vous auriez perdu votre pucelage?

Aïcha. – J’avoue que si! Et je comptais bien sur toi pour m’en donner l’explication!

Leyla. – Eh bien voilà. Quand Ismée est arrivée déguisée en homme, Nacer, lui, portait vos vêtements. (Aïcha fait un geste pour l’interrompre.) Naye, naye, ne me demandez pas pourquoi, ce serait trop compliqué! Et c’est comme cela que la confusion s’est créée. Ismée a cru vous forcer avec son godemichet de combat. Mais c’est Nacer qui a pris les coups…

Aïcha. – Mais dans quel but…

Leyla. – Exactement celui qu’a compris d’emblé votre beau castrat: vous compromettre.

Aïcha. – Si c’est bien cela, le coup vient de la Reine, évidemment…

(Sonneries de trompettes).

Leyla. – Voici le Pacha qui arrive. Allez vous cacher derrière le paravent, Maîtresse…

Aïcha. – Mais pourquoi diantre?

Leyla. – Le coup de théâtre n’en sera que plus beau!

(Sonneries de trompettes. Entrent le Pacha et son épouse, Nacer, Abd Al-Halim, cassé en deux par l’épreuve qu’il vient de subir, et Idriss, ce dernier encadré par la garde royale.)


Scène 10. Sadoq, Hadda, Abd Al-Halim, Aïcha, Idriss, Leyla.


Sadoq, s’approchant des coussins. – Ainsi nous sommes devant la scène du crime! (Il frappe dans ses mains.) Qu’on amène ma favorite et son étrange amant!

Idriss, se jetant aux pieds du Pacha. – Je vous en prie mon Prince. Je suis le seul coupable. Votre favorite n’a été violentée que par ma faute…

Abd Al-Halim, se tenant les reins. – Ah, mon pauvre petit trou…

Sadoq. – Comment cela Mustapha, toi qui à qui j’avais fait présent de toute ma confiance! Toi l’Eunuque, tu es parvenu à violer cette vierge que j’avais si chèrement acquise?

Idriss. – Je n’ai pas touché à un seul de ses cheveux, mon Prince, je le jure. Mais j’ai introduit, ici-même, l’homme par lequel le scandale est arrivé…

Sadoq. – Mais pour quelle raison?

Hadda. – Cette traînée l’aura corrompu et convaincu de le faire, mon tendre époux.

Abd Al-Halim, gémissant toujours. – Ah, mon pauvre petit cul…

Idriss. – Personne ne m’a influencé, ô Grand Pacha. J’ai agi de mon plein gré. L’homme en question est le fils de mon maître, Majesté. (Il retire son casque et sa fausse barbe:) Car je ne suis pas Mustapha, je suis Idriss, dit Escarpin, le kajiru de votre… nouveau conseiller…

Abd Al-Halim, se redresse soudain et s’approche et lui donne un violent coup de pied. – Ah, graine d’ost! J’aurais dû me douter que cela devait venir de toi.

Sadoq. – Allons! mon larlinet, on ne frappe pas un homme à terre.

Idriss, retirant la riche veste de soie que portent les Grands Eunuques. – Je vous rends les insignes de mon fugitif pouvoir sur vos femmes, Grand Pacha. Vous ferez ce que vous voudrez de moi. Mais je vous supplie de ne pas joindre Aïcha à ma disgrâce…

Sadoq, a un mouvement de recul en voyant la marque sur l’épaule d’Idriss. – Qui t’a fait ce signe à l’épaule, Mustapha?

 Idriss. – Je l’ai toujours eue, Grand Pacha, c’est une marque de naissance.

Sadoq. – Tiens? Et quels étaient tes parents?

Idriss. – J’ai été élevé par de pauvres pêcheurs. Tout ce qui me reste de mes parents est ce billet qu’écrivit ma mère. (Il fouille dans ses poches, et sort le billet qu’il a lu tout à l’heure et qu’il tend à présent au Pacha. Celui-ci n’a que le temps d’y jeter un coup d’œil. Il a un nouveau mouvement de recul en reconnaissant l’écriture. Mais il est interrompu dans sa lecture par Ismée et Nacer, que la garde amène sans ménagements. Tous deux sont dans l’état où ils ont quitté la scène, la tête et le buste masqués par un pan de tissu.)

(Entre Ismée)